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Interview

Xavier Iturria (Bordeaux, 1977) est un esprit indépendant, avec beaucoup de caractère. Un jour, il a décidé de    parcourir le monde à la recherche de sa propre idée du vin. Il a eu la grande chance de la découvrir lors de la première étape de son voyage.

Xavier est néanmoins toujours un marcheur romantique ; il fuit le tumulte des villes et le vertige des machines, se réfugie chaque jour dans la nature, au milieu de ses vieilles vignes. Xavier est vigneron, œnologue et caviste. Il s’est engagé corps et âme dans un projet, celui de poursuivre ses rêves. Sa plus grande aspiration est de faire ce qu’il aime le plus au monde.

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D’où vient votre relation avec le vin ?

Ma famille n’avait aucun lien avec le vin, mais il est vrai qu’un de mes oncles possédait des vignes. Moi, j’adorais l’accompagner quand il s’y rendait pour travailler. Peu à peu, j’ai été submergé par cette passion et j’ai fini par suivre une filière professionnelle qui m’a conduit à concevoir mon rêve : faire mon propre vin.  Et voilà où j’en suis ! Maintenant, je taille mes vignes, je conduis un tracteur, je suis vigneron... et, à la fin de la journée, je profite de la vie avec mes amis, un verre de Valdosan, Viña de Segundo ou Iturria à la main.

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D’une manière générale, comment définiriez-vous le vin que vous faites ?

Sincèrement, je crois que je fais le vin que j’aime boire. Peu m’importe que l’on fasse l’éloge de mon vin, ici ou ailleurs, comme s’il agissait d’une œuvre d’art. Ce qui m’importe vraiment, c’est que les gens qui ouvrent une de mes bouteilles l’aiment, que tous ces gens, que je ne connais pas, et qui ne me connaissent pas, s’amusent autour d’un verre de mon vin.

Pour vous, qui vous impliquez dans toutes les étapes de l’élaboration d’un vin, laquelle est la plus compliquée ?

Ce qui est le plus compliqué c’est peut-être l’effort nécessaire pour concevoir une idée, pour lui donner corps et enfin la transmettre. Dans les vignes, dans les chais... lors de chaque étape du processus d’élaboration du vin, on travaille beaucoup... c’est une évidence... mais le travail ne fait aucune différence... la vraie différence se trouve dans les idées, dans la façon dont vous les concevez et vous les concrétisez. Ce n’est que lorsque votre idée est puissante que les autres pourront y croire et qu’enfin, ils vous aideront à la transformer en réalité. En ce qui me concerne, j’ai eu la chance d’avoir l’appui Inconditionnel d’April et Jeff Wood d’Indianapolis. Dès le début, ils se sont investis dans le projet Bodegas Iturria. Ils s’y sont engagés en tant qu’investisseurs et aujourd’hui, ils en sont devenus des piliers essentiels.

Comment décririez-vous le consommateur idéal d’Iturria?

Iturria est ouvert - bien sûr - à tout type de consommateur. Toutefois, il me semble que nous avons tous besoin de consommateurs exigeants, qui nous poussent de l’avant pour faire les choses toujours mieux. L’exigence de nos clients est l’aide la plus précieuse qui puisse nous être apportée.

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"Ce qui m’importe vraiment, c’est que les gens qui ouvrent une de mes bouteilles l’aiment, que tous ces gens que je ne connais pas, et   qui ne me connaissent pas, s’amusent autour d’un verre de mon vin."

Considérez-vous votre vin comme un vin commercial ?

 Si être commercial signifie se soumettre au marché, alors je ne le considère pas comme commercial... Si être commercial c’est essayer de conquérir ce marché, alors oui. Au fond, le défi auquel – il me semble- nous sommes tous confrontés, est celui de conquérir le marché. Mais pas à n’importe quel prix. Personnellement, je ne scruterais pas le marché pour voir comment faire mon vin, comme le font certains.  Comme je vous l’ai dit, je fais les vins que j’aime, les vins que je veux faire et boire. Chaque vendange est une histoire et chaque millésime a une personnalité. C’est pour cela que j’aime intervenir juste ce qu’il faut, réaliser le moins d’extractions possible dans les cuves et ajuster très peu. En fait, dans les chais, je suis un peu paresseux. Je préfère laisser faire le bois et le temps. Je sais que ma matière première est exceptionnelle et je ne fais que jouer avec.

Votre vin est-il un vin d’auteur ?

Je n’aime pas beaucoup cette idée de vin d’auteur, mais oui... dans une certaine mesure, ce que je fais est bien du vin d’auteur.

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Pour vous, qu’est-ce que Toro en tant que région viticole ?

Pour moi, Toro représente tout. C’est tout d’abord l’endroit où je me suis installé. Lorsque j’ai quitté la France, j’ai envisagé de faire le tour du monde afin de faire des recherches, d’expérimenter dans différentes régions viticoles, en Espagne, en Australie et en Nouvelle-Zélande. L’Espagne a été ma première destination. Je suis arrivé à Toro et je suis tombé sous son charme, à tel point que j’y suis resté. Pour moi, Toro réunit toutes les conditions dont a besoin une grande zone viticole : patrimoine, sol, terroir, tradition, histoire, vignes anciennes... Cette région est un véritable univers à elle seule.

Ce qui est pour moi très lassant, c’est de toujours entendre cette sempiternelle réflexion après chaque gorgée de Toro : "Que les vins de Toro se sont améliorés ! " . Il est vrai qu’auparavant, les vins de Toro étaient très forts, trop puissants, avec trop d’alcool, mais c’est aussi un fait qu’ils ont accompagné la traversée océanique de Christophe Colomb. Je veux dire par là, que ce sont des vins qui ont supporté le voyage jusqu’en Amérique dans les conditions d’un autre temps. C’est bien la preuve que ce sont des vins incomparables. Faire perdurer la personnalité d’une telle région viticole est une grande responsabilité.

Les vins de Toro ont donc beaucoup évolué. Pensez-vous qu’ils peuvent encore s‘améliorer ?

Bien sûr que oui, mais je pense aussi qu’il est extrêmement important de respecter la typicité de ces vins. En aucun cas, nous ne pouvons renoncer à la particularité qui les caractérise. Le secret du succès des futurs vins de Toro sera de les rendre, jour après jour, plus merveilleux pour notre palais, tout en maintenant leur essence au fil du temps.

Vous parlez souvent de vins ibériques. Qu’est-ce que c’est ?

La région viticole de Toro se trouve à côté du Portugal ; Ce plateau est le cœur de la péninsule ibérique. Les vins de cette zone regorgent de ce plateau, de ce climat, de ces écosystèmes, et de ce terroir incomparable qui a historiquement transformé ses vignes, surtout ses vieilles vignes, en un contexte naturel époustouflant, qui dépasse les frontières et qui nous donne une identité commune.

Que sont pour vous “les vieilles vignes” ?

Ce sont des vignes anciennes, non greffées. Ici, on en trouve encore quelques-unes qui ont échappé au phylloxéra, grâce la composition sablonneuse du sol. Ce sont des boutures. Vous en trouverez très peu dans le monde. Et bien sûr, comme elles sont vieilles, elles se prêtent à la création de vins de caractère. Dans mon cas, les vignes de mon beau-père, à Morales de Toro, sont des vignes qu’il a commencé à travailler quand il avait 15 ou 16 ans. En fait, elles en ont plus de 100, même si sur papier je leur en donne 60 ou 70. Faire du vin avec ces vignes est très simple. Le secret est de les laisser faire, de n’être que l’accompagnateur de leur voyage. Comme je l’ai dit, il s’agit de réaliser un minimum d’extractions et ajuster un peu. Un point c’est tout.

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Que pouvez-vous nous dire des propositions de votre collection de vin ?

 Tinto Iturria me ressemble assez. Quand je suis arrivé ici, j’avais un palais très français. J’aimais les vins de cette région, mais je savais qu’il fallait maîtriser un tant soit peu leurs saveurs. C’est pourquoi j’ai décidé d’utiliser du grenache. Le grenache est, pour moi, le meilleur ami du cépage Tinta de Toro. Ajouter du grenache au Tinta de Toro est, depuis, devenu à la mode car ces deux variétés se marient à merveille. Au tout début, je l’élevais en fût pendant 10-12 mois ; maintenant, je suis passé à 22 mois. Le résultat est que les millésimes de 2010 à 2018 sont complètement distincts, mais chacun est un voyage différent et nouveau.

Valdosan est un vin, 100% Tinta de Toro, gourmand au nez, avec des notes de fruits rouges et de bois (même si je ne parle plus de "Chêne", "Vin de garde", etc.…). Avec ce vin, je veux me diriger vers de nouveaux accents dans le concept Toro, car je suis convaincu que la meilleure contribution que nous puissions apporter à notre région viticole est de l’aider à se redéfinir. Viña de Segundo est le vin où l’on perçoit le plus le Toro classique. Il est frais, avec beaucoup de fruits rouges et sans fards. Dans la région de Toro, on vit avec un certain décalage. Les sucres sont présents avant l’heure, par contre la peau mûrit tardivement. Je m’intéresse à l’équilibre de l’alcool mais je ne veux pas le diminuer, c’est pour cela que les vendanges sont souvent précoces.

Dans la Viña de Segundo, je réalise quelques extractions, des pigeages et, quand je ne peux pas piger, j’utilise la pompe, tout doucement. La fermentation malolactique est faite en fût, et le grand défi est d’assouplir les tanins. La barrique apporte de la stabilité. Le bois nettoie le vin et lui donne des arômes de fruits remarquables.

Une grande partie de l’entretien du vignoble et de la cave est écologique... Qu’est-ce que l’écologie pour vous ? Qu’apporte-t-elle ?

Ma gestion environnementale part d’une intime conviction et non pas du marketing. Je travaille de façon écologique parce que je sens que c’est un plus. Faire une viticulture sans fard et sans tricherie c’est faire une viticulture en toute vérité. Ce qui est vraiment important, c’est de laisser le vin s’exprimer, mais aussi de développer une biodynamique structurelle et non pas pour la galerie. La biodynamique est un outil fantastique quand la production est petite. La qualité est incomparable. Par ailleurs, il faut bien reconnaître qu’en Castille-León, il est vraiment plus simple de faire du vin bio qu’ailleurs. Ici, on peut faire des vins vraiment compétitifs. Mes vins, en outre, sont les enfants d’un sol vivant. Pauvre, mais vivant. Ici, la coccinelle collabore avec moi et, un peu plus loin, où le sol est plus argileux, le ver de terre. Les levures sont indigènes. Que puis-je demander de plus ?

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Finalement qu’attendez-vous de ce voyage viticole?

 Eh bien -même si j’aime plus “être” et “faire” que “dire”- j’espère que, lorsque le nom Iturria passera devant les yeux de tout amateur de vin, la réflexion suivante lui viendra immédiatement à l’esprit : « C’est Iturria, c’est du bon vin ».

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